Immigration : peut-on concilier humanité et fermeté ? (The Conversation)

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Une photo de migrants accrochée à Paris, dans le quartier de Stalingrad.
Jeanne Menjoulet/Flickr, CC BY

Charles Hadji, Université Grenoble Alpes

L’accueil des migrants place, semble-t-il, devant un dilemme insoluble : l’hospitalité ou la dureté. Nous serions sommés de choisir entre deux attitudes, et deux voies, paraissant inconciliables : l’humanisme, qui se traduirait par l’accueil bienveillant de (si possible tous) ceux qui se présentent ; ou l’égoïste repli sur soi, qui se traduirait dans le refus haineux du réfugié. Le devoir d’accueil de l’autre, notre frère en humanité, versus le droit de se défendre contre des « assaillants » venus d’ailleurs, et perçus comme des « perturbateurs sociétaux ».

Est-il possible de dépasser cette opposition apparemment irréductible, et de concilier humanité et fermeté ?

L’intégration, nœud du problème

Le drame est que les migrants sont perçus comme indésirables aujourd’hui parce que (pense-t-on) source de troubles et de problèmes, non seulement aujourd’hui, mais surtout demain. C’est la capacité des immigrés (et de leurs descendants) de s’intégrer qui est mise en question.

Un récent sondage de l’IFOP le montre bien : plus de 7 Français sur 10 estiment que les personnes issues de l’immigration sont mal intégrées dans la société française, et cela, à cause essentiellement de raisons qui leur incomberaient. Le refus actuel d’une acceptation inconditionnelle et massive serait ainsi justifié par l’existence de différences (d’habitus, de comportement, de pratiques sociales et religieuses) jugées pathogènes pour la nation française avec, à terme, un potentiel risque de destruction.

Force est de reconnaître qu’à cet égard certains faits posent question, à tel point qu’on hésite à les évoquer, le sujet étant devenu tabou. Ainsi en va-t-il de la « suractivité délictuelle » des jeunes issus de l’immigration, mise en évidence dès 2004 par une recherche conduite en Isère.

En 2012, les statistiques de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) confirment une forte hausse de la délinquance des étrangers. Et les travaux de Farhad Khosrokhavar (2004, 2016) établissent que l’islam est devenue « la première religion carcérale de France », le taux des détenus musulmans dépassant souvent les 50 %, et avoisinant parfois les 70 ou 80 %.

Y aurait-il un inéluctable destin conduisant de l’immigration à la délinquance, puis au terrorisme, dans une sorte de spirale négative de la non-intégration ?

Pour les immigrés, les dérives comportementales sont-elles une fatalité ?

Il est clair, toutefois, que la surreprésentation, dans les prisons françaises, des personnes issues de l’immigration, peut avoir de multiples causes, sociales, et économiques, autant qu’individuelles.

On peut évoquer les conditions de vie qui leur sont faites, leur confinement dans des quartiers ghettos, le racisme latent, etc., et affirmer que l’urgence est de lutter contre les inégalités qui souvent les accablent. C’est pourquoi il devrait être aussi clair qu’il convient de refuser de s’enliser dans l’évocation de ce qui serait une propension à la délinquance chez les immigrés, comme s’il y avait chez eux un penchant naturel pour le délit.

Mais le moins que l’on puisse dire est que ces faits signent un échec, au moins partiel, de leur intégration. Et que l’on se trouve alors face à un double problème : prendre des mesures (politiques, sociales, économiques, scolaires) susceptibles de favoriser cette intégration ; et lutter contre tout ce qui pourrait conforter la croyance selon laquelle « immigration » est, par essence, synonyme de danger social.

Le défi est alors de casser le lien que l’opinion établit entre la personne des immigrés, et les phénomènes délictueux. Il nous semble qu’une guerre affirmée, et acharnée, contre les comportements répréhensibles serait de nature à faire progresser en ce sens, et partant, à faire mieux accepter, a priori, les migrants.

De l’humanisme compassionnel à l’humanisme de raison

Certains réclament une fermeté s’exerçant en quelque sorte a priori, en prônant une gestion « froide » du problème. Il y aurait lieu de tout mettre en œuvre pour, selon l’adage, prévenir, plutôt que guérir. Autant que possible interdire l’entrée sur le territoire national ; en tout cas trancher le plus vite possible de l’avenir dévolu à chacun. Et pour cela ne pas hésiter à faire subir la dureté d’un traitement froidement administratif, dès le premier pas en France, et si possible avant (au sein des pays d’origine).

Dans cette logique, un humanisme se traduisant par de la mollesse et des atermoiements est dénoncé comme une faiblesse coupable, nocive à la fois pour ceux qui resteront (et dont l’intégration sera retardée), et pour ceux qui devront repartir (et qui auront eu le temps de se bercer de faux espoirs). On doit, le plus vite possible, la vérité au demandeur d’accueil. La fermeté n’est que l’expression concrète d’un devoir de vérité à l’égard de sa personne, dans un contexte où « la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ».

« Retour à la rue », série photographique sur les migrants à Paris.
Jeanne Menjoulet/Flickr, CC BY

Mais, si elles exigent d’être fermement mises en application, les conditions d’accueil doivent être clairement établies. Sauf à décider que tout migrant, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, a le droit absolu d’être accepté, il y a bien une décision, d’acceptation ou de refus, à prendre. Cela doit se faire par référence à des critères de droit, à la fois clairs (ils doivent avoir été explicités, et rendus publics), et équitables (en adéquation avec des exigences d’ordre éthique). C’est cette exigence de traitement selon le droit qui légitime l’accueil de tous dans la dignité, quel que soit leur sort futur. En attendant que l’on ait statué sur celui-ci, il faut offrir à chacun des conditions de vie décente : tel est le devoir d’hospitalité.

Ces deux devoirs caractérisent un humanisme de raison, centré sur le respect de la personne, qui diffère d’un humanisme compassionnel, lequel pourrait conduire à tout excuser, même ce qui est inexcusable au regard des règles de l’État de droit.

Humanité à l’égard des personnes, fermeté à l’égard des comportements

Si l’on veut donc prévenir l’amalgame entre immigration et trouble social, voire entre immigration et délinquance, ou pire encore immigration et terrorisme, il est impératif de distinguer les personnes et les actes ou comportements. La critique « de gauche » des postures et des attitudes répressives à l’égard des migrants souligne l’impérieuse nécessité de respecter les personnes. Mais c’est une impérieuse nécessité de même niveau que souligne la critique « de droite », qui s’élève contre des comportements inadmissibles (squats, vols, violences), au nom du respect dû aux habitants du pays où l’on demande d’être accueilli.

La non-distinction entre les personnes et les comportements est à l’origine d’une double erreur symétrique : la dureté envers les personnes et l’indulgence envers les comportements. Le respect dû aux immigrés, et à leurs descendants, ne doit pas, au motif de leur fragilité, et des souffrances qu’ils endurent (humanisme compassionnel), se traduire par une indulgence particulière à l’égard de comportements qui ne respecteraient pas les règles de l’État de droit. Contre les comportements hors règle, la rigueur est de mise, dès le début, et sans faiblesse.

Même quand « elles sont le fait des minorités issues des pays colonisés », les « inconduites » et les « tares morales » doivent être fermement condamnées. Le sociologue Tarik Yildiz vient d’exprimer très clairement cette nécessité : une des seules façons de briser l’engrenage qui entraîne de la petite délinquance au djihadisme est de faire strictement respecter les lois « dès le premier acte de délinquance ».

Symétriquement, l’intolérance à l’égard de comportements répréhensibles ne doit pas se traduire par une dureté particulière à l’égard de la personne des migrants, dont l’accueil – ne serait-ce qu’à titre temporaire – doit se faire dans des conditions conformes aux exigences du respect dû à toute personne. Mais tant qu’on ne liera pas fortement l’exigence du respect de la personne avec l’exigence du respect que toute personne doit aux lois républicaines, un espace existera dans lequel s’engouffreront les préjugés, les soupçons, et finalement les haines.

Accueillir en toute clarté tant pour les devoirs que pour les droits

Autrement dit, la meilleure façon de bien accueillir les migrants est de le faire dans la clarté pour ce qui concerne à la fois la prise en charge légale de leur présence en France (et à condition que l’on se donne les moyens de cette prise en charge) ; et les comportements qui seront exigés d’eux en tant que membre – temporaire ou permanent – de la communauté française.

En somme, et comme toujours, la seule solution pour le « survivre » ensemble est dans une articulation viscérale entre des droits et des devoirs, la personne étant le lieu emblématique des droits, et les actes ou comportements, celui des devoirs.

Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes

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